Particulièrement sombre, The Batman sorti en mars 2022, pose la question du manichéisme des supers-héros. Et place au cœur du scénario la rédemption du personnage principal. Analyse (et spoils).
On peut reprocher au film une certaine lourdeur. Les dialogues, parfois très premier degré, manquent de subtilités et de crédibilité, et les personnages ont l’air de se prendre très (trop) au sérieux. Si le scénario fourmille d’idées intéressantes sur l’univers ou les personnages, il veut souvent trop les mettre en avant en les expliquant aux spectateurs, au lieu de les suggérer par l’image seule. Enfin, le film est très long (près de 3 heures) et, si la lenteur des scènes est plutôt un bon moyen d’installer l’ambiance et les personnages, elle nuit aussi au rythme du film, surtout dans l’acte central. Cependant, l’une des vraies réussites du film est certainement l’évolution du personnage principal.
Le Batman de Pattinson commence comme un justicier violent, presque sociopathe, voire malsain dans certaines scènes. Le ton est donné dès la première scène du film, où il tabasse brutalement un malfrat avant de se présenter en ces termes : « Je suis la Vengeance ». Cette citation, tirée de la série animée culte Batman des années 90, résume parfaitement dans le film la position assumée par le Chevalier noir. Sa quête est d’abord une tentative de combattre le traumatisme de la mort de ses parents et d’exprimer sa rage face à ce crime originel.
Les symboles qui lui sont associés sont fondamentalement morbides. La caméra prend souvent le point de vue des criminels, filmés comme des proies paniquées par l’approche du prédateur invisible et impitoyable. Batman s’identifie d’ailleurs à l’ombre dont il se sert, puisque sa présence fait que chaque coin d’ombre de Gotham devient une menace pour les criminels, et un rappel constant que la Vengeance peut s’abattre sur eux à tout instant.
Les coups et les balles ne semblent pas avoir d’effet sur lui, il s’avance lentement vers ses victimes comme une force inarrêtable, répondant à la violence de la ville par une violence plus extrême encore. La rareté des scènes où il apparaît en Bruce Wayne accentue encore cette impression que le personnage est plus un symbole de la mort et de la vengeance qu’un homme de chair et de sang. Même le thème musical du personnage, directement inspiré de la Marche funèbre de Chopin et du thème de Dark Vador dans Star Wars, joue sur cette idée.
Mais le film insiste sur l’échec de cette version du Batman et valide la citation d’Eschyle : « La violence engendre la violence ». Non seulement la criminalité dans Gotham ne baisse pas, mais l’antagoniste principale du film, le Riddler, se révèle inspiré par Batman, et le film dresse un parallèle évident entre leurs actions. Les coups que portent le Riddler à sa première victime sont presque identiques à ceux que Batman porte au criminel qu’il met à terre, et tous deux sont représentés comme des voyeurs, même si leurs motivations sont différentes. Batman prend conscience de cette évidence progressivement au cours de ces confrontations avec le Riddler, mais aussi de ces interactions avec Catwoman, qui est elle aussi tentée de suivre la voie de la vengeance, et qu’il va sauver.
La réalisation finale intervient cependant dans la dernière partie du film. Alors qu’il a mis à terre un des complices du Riddler, celui-ci se présente aux policiers qui l’arrêtent avec la même réplique que Batman : « Je suis la Vengeance ». Le Chevalier noir prend alors conscience que l’homme qui lui fait face est un reflet de lui-même, et que sa violence et sa quête de vengeance ont engendré plus de violence et ont conduit à tout l’engrenage du film.
Alors que l’eau s’engouffre dans le stade rempli de citoyens paniqués, un projecteur menace de tomber, tuant par électrocution encore plus d’innocents piégés. Batman se jette alors sur le câble alimentant le projecteur, et le tranche avec son fidèle Batarang. Il tombe alors dans l’eau, plusieurs dizaines de mètres plus bas, dans un ralenti dramatique.
Sur le coup j’avoue avoir été surpris par l’audace du film qui tuait apparemment son héros après l’avoir fait échoué à arrêter les plans du méchant. Car certes, Batman a arrêté les tireurs qui commençaient à ouvrir le feu sur la foule, mais le plan du Riddler est globalement un succès. Le geste et la chute de Batman seraient alors la conclusion de l’évolution du personnage qui se sacrifie pour réparer une partie des conséquences tragiques de ses actes.
Sauf que Batman se relève.
Le film insiste nettement sur la chute du Chevalier noir avec un grammaire cinématographique qui laisse peu de doute sur ses intentions (filmer de haut un personnage chuter dans le vide au ralenti, c’est signer son arrêt de mort : pensez à Hans Gruber dans Pièges de Cristal, Gwen Stacy dans The Amazing Spider-Man 2, ou encore à Mufasa dans Le Roi Lion). Mais il subvertit immédiatement nos atteintes, en refusant cette mort. A moins que Batman soit réellement mort à cet instant, et que ce soit un autre qui sortait des eaux ?
Immédiatement après sa chute, lui qui avançait toujours dans les ténèbres allume une fusée éclairante, et sauve des citoyens de Gotham piégés dans le stade et les guide vers la sécurité. La conclusion du film le montre en train de porter une femme victime des inondations qui ne veut plus le lâcher, alors que la première personne qu’il avait sauvée avait peur de lui. Il déclare alors en voix off vouloir devenir un symbole d’espoir pour la ville sinistrée.
La chute de Batman serait alors une mort symbolique, qui lui permet de redéfinir son rôle en tant que justicier. L’eau peut alors être interprétée comme celle de son baptême, de sa mort à lui-même en tant que force de vengeance et de violence, et de sa renaissance en tant que force de vie et d’espoir. Le parallèle avec la vocation de tout chrétien est alors limpide.
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