Le 18 janvier dernier sortait dans nos salles obscures Babylon, de Damien Chazelle (Lalaland et le sublime Whiplash). L’esthétique léchée et le rythme endiablé nous plongent pendant trois heures dans un Hollywood des années 20’ en pleine mutation devant l’arrivée du cinéma parlant. Mais pourquoi ce film est-il si marquant alors qu’il recycle des mécaniques que nous avons déjà vues et parfois revues ? Peut-être car il participe à quelque chose de plus grand.
Qu’on se le dise, si vous cherchez un film dont le rythme est aussi soutenu que sa musique et son montage, allez voir le biopic Elvis, il vous en mettra plein la vue. Si vous cherchez un film qui vous contera les excès de l’Homme sans aucune limite, regardez le Loup de Wall Street. Si vous voulez un film qui montre la lumière et l’ombre des années 20 américaines, foncez voir Gatsby le magnifique (il sera d’autant meilleur que, contrairement à Babylon, il sera beaucoup plus subtil dans ce qu’il montre en suggérant plutôt qu’en montrant). Enfin, si vous cherchez un film sur la métamorphose du cinéma après l’arrivée du parlant, rentrez chez vous et par pitié louez l’indémodable Chantons sous la pluie. Le problème de Babylon c’est qu’il propose tout ça à la fois tout en n’étant jamais à la hauteur de ses prédécesseurs. Et pour être complètement honnête, au bout de 2h30 de film je ne comprenais ni son propos, ni son intérêt. Jusqu’à ce que l’intention de l’auteur se révèle à moi, ne me faisant regretter finalement aucune des minutes passées dans la salle obscure. Parce que Babylon est bien plus que l’histoire de personnages qui montent en gloire puis finissent par sombrer (comme dans de trop nombreux films). Cette œuvre est à la fois une déclaration d’amour au cinéma et un film qui parle de la vocation.
Mais avant de continuer, une petite histoire. Imaginez trois hommes en train de tailler dans la pierre. Ils utilisent les mêmes outils, les mêmes techniques et les mêmes pierres. Pourtant on sent bien qu’ils ne le vivent pas de la même manière. Le premier semble moins doué que le deuxième qui lui est moins doué que le dernier. Donc on pose la même question au trois : “Que faites-vous ?“. Le premier répond qu’il taille dans la pierre. Le deuxième qu’il est tailleur de pierre. Donc déjà il définit une part de son identité dans son activité: son être devient le sens de son action. Enfin le troisième, qui taille mieux que les autres répond : “Je construis une cathédrale“. Des trois, c’est le dernier qui trouve le plus de sens à ce qu’il fait et donc qui y arrive le mieux. Il inscrit son acte, que d’autres pourraient trouver anodin, dans un projet plus grand que lui, qui a commencé avant qu’il y participe et qui continuera bien après. Lui il apporte sa pierre à l’édifice. C’est ça la vocation : trouver la cathédrale à laquelle nous voulons apporter notre pierre.
Mais alors, Brad Pitt construit-il vraiment une cathédrale dans le film Babylon ? Oui, sauf que sa cathédrale à lui c’est cette merveilleuse et grande aventure qu’est le cinéma. Le film nous présente les parcours de 4 protagonistes qui participent à cette industrie gigantesque et qui prend de plus en plus d’ampleur. Chacun est présenté au début du film à une étape différente, et chacun va évoluer à sa manière mais dans le fond, ils sont tous les pierres d’une même cathédrale. Voilà le vrai sujet du film, évoqué ici et là durant les trois heures, disséminé dans quelques dialogues avant d’être véritablement présenté à la dernière scène quand Manuel, celui des quatre protagonistes qui terminera le mieux, comprendra que tout ce qu’il aura vécu ne servira qu’à une chose : aider les gens à se sentir mieux en allant dans les salles obscures. C’est d’ailleurs la définition que le personnage de Brad Pitt donne du cinéma au tout début du film.
Mais au-delà de présenter des personnages qui cherchent, trouvent ou prennent leurs places dans un grand tout, Damien Chazelle nous questionne aussi sur l’humilité qu’il nous incombe d’avoir lorsque nous sommes les pierres d’une cathédrale. Acceptons-nous de n’être qu’une pierre parmi d’autres ? Comment vivre le moment où nous n’avons plus rien à apporter à ce à quoi nous avons consacré toute une vie ? C’est pour cette raison que le film aborde ce passage de l’histoire du cinéma déjà vu et revu : l’arrivée du parlant. Comme dans d’autres films, cette révolution de l’industrie hollywoodienne est un prétexte pour obliger des personnages à questionner leurs places et leurs utilités. Dans un film comme Chantons sous la pluie ou The Artist, l’histoire se termine bien puisque chacun réussit à se réinventer. Mais pas dans Babylon. Ici Brad Pitt ou encore Margot Robbie n’ont pas d’autre choix que d’accepter qu’ils sont finis. Triste fin ? Non, pas tant que ça, car ce long départ à la retraite se fait, au moins pour Brad Pitt, avec la certitude qu’ils auront bel et bien joué leurs rôles. Ce dernier l’accepte entièrement lorsqu’au détour d’une conversation, une critique cinéma qui a été dure avec lui, le rassure dans la promesse qu’il a effectivement marqué le cinéma. Dans 100 ans on ressortira ses films et il fera toujours le même effet au spectateurs. Sa carrière est peut-être morte mais tant que le cinéma vivra, il continuera à vivre. Tant que les cathédrales restent debout, les tailleurs de pierres vivent à travers elle et nous faisons mémoire de leur travail.
Il nous faut alors accepter avec honneur et humilité la mission pour laquelle nous sommes sur Terre. Trouver sa vocation, sa mission de vie c’est comprendre à quelle construction de cathédrale nous voulons appartenir. Il s’agit du long travail qui mène à l’accomplissement de soi. Babylon n’est pas un film à la grande morale, mais son propos provocateur (et parfois inutilement excessif) est un moyen pour Damien Chazelle de déclarer son amour à sa cathédrale et pour nous de trouver la nôtre.
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