Chaque vendredi, retrouvez un commentaire de l'Evangile du dimanche à venir par le père Michel Gitton.

Dans l’évangile que l’Église nous propose en ce 3^e dimanche de Carême, il y a de la part de Jésus un refus très net de donner un sens trop immédiat aux catastrophes que nous subissons : « étaient-ils de plus grands pécheurs que tous les autres ? Non ! Mais si vous ne faites pas pénitence, vous périrez tous de même ! ». C’est la conclusion qui est évidemment le plus important dans le propos du Christ : au lieu de supputer les responsabilités et d’accuser tel ou tel, retroussons-nous les manches et luttons contre le péché qui est à notre porte !

Ceci dit, Jésus n’est pas inconscient du lien qui existe entre le péché et la souffrance. C’est lui qui a dit au paralytique guéri : « ne pèche pas, il pourrait t’arriver pire encore ! » (Jean 5,14). Mais ce lien ne se vérifie pas toujours au plan individuel, c’est souvent l’ensemble des péchés qui a fait boule de neige et qui entraîne désormais des conséquences beaucoup plus vastes, le Diable occupant-là une place particulière. C’est lui en effet qui est le chef d’orchestre et qui amplifie sans cesse le désordre, jusqu’à créer le sentiment de l’inéluctable pour pousser l’humanité au désespoir et au ressentiment contre Dieu.

On a pu dire que Jésus prenait le mal comme un fait, sans chercher à lui donner d’explication. Ce serait terrible, car si on accepte que le mal soit dans l’être, s’il est lié pour toujours à notre condition de créature, où est la bonté du Père, notre créateur ? Si, pour quelque bien que ce soit, Dieu a voulu la souffrance des innocents, je ne peux lui donner ma foi, je me méfierai toujours de lui. Comment le Christ, qui est venu porter témoignage à son Père et à la bonté de celui-ci, pourrait-il supporter cela ? S’il a fait des guérisons, s’il a ressuscité des morts, c’est parce que la mort de l’homme et déjà sa souffrance le heurtent profondément. Loin de nous distiller des propos lénifiants sur la finitude humaine, il crie, il proteste, il pleure. Non, décidément, cela n’était pas dans le plan de Dieu et toute explication qui naturalise le mal et en fait l’inévitable corollaire de l’avancée vers des lendemains qui chantent doit nous faire horreur.

La seule explication qui reste, c’est qu’un évènement contingent s’est produit qui a bouleversé la relation entre Dieu et l’homme et qui a entraîné le désordre où nous sommes. Jésus n’y fait guère illusion, mais ce sera saint Paul qui tirera la conséquence : « si, par la faute d’un seul, la multitude est morte, combien plus la grâce de Dieu et le don conféré par la grâce d’un seul homme, Jésus Christ, se sont-ils répandus à profusion sur la multitude » (Romains 5,15). La Rédemption où un seul (Jésus) fait basculer toute la condition humaine dans un nouveau rapport à Dieu révèle après coup ce qui s’est passé une première fois à l’aurore de l’humanité : un seul, par son refus de s’ouvrir à la vocation que Dieu lui avait tracée, a perdu le contact vivifiant avec Dieu. A un acte de liberté dévoyée répond un autre acte de liberté, gracieuse celle-ci. A une solidarité mauvaise qui démultiplie le mal répond maintenant la communion des saints qui tire l’humanité vers en haut.

Père Michel Gitton – fondateur de la Communauté Aïn Karem