On les franchit souvent distraitement. Pourtant les parvis de nos églises ont une riche histoire qui a beaucoup à nous apprendre sur le rapport de nos ancêtres à l’église… et à l’Eglise. Analyse historique, sur ces lieux de jonction entre le Temple et la ville.
On aurait tort de tenir uniquement les parvis de nos églises pour de simples places aménagées devant un bel édifice. Ils sont bien plus que cela : dans l’ordre symbolique, ils sont les héritiers du parvis du Temple de Jérusalem. Comme ce dernier précédait l’entrée du Saint des saints, ils précèdent l’entrée du lieu où le Verbe continue de s’incarner. L’Écriture sainte nous dit d’ailleurs toute l’importance du parvis pour nos lieux de culte : « De quel amour sont aimées tes demeures, Seigneur, Dieu de l’univers. Mon âme s’épuise à désirer les parvis du Seigneur. » Ps 84. « Dans les parvis de la maison du Seigneur, au milieu de toi Jérusalem. » Ps 116. Le psalmiste semble vouloir se tenir sur le parvis comme on souhaite atteindre le paradis, la Jérusalem céleste ; une idée que rejoint l’étymologie du mot parvis, commune à celle de paradis : παράδεισος.
Historiquement cependant, les églises n’ont pas toujours possédé de parvis. Aux premiers temps du christianisme, les croyants devaient célébrer la messe cachés, chez eux. Il n’y avait pas plus de parvis que d’église. C’est au IVe siècle, avec la fin des persécutions romaines et l’apparition des premières églises, que l’idée d’un lieu servant de vaste seuil d’entrée au bâtiment fait son apparition. Assez rapidement, ce lieu devient une construction que l’on appellera le narthex et qui servira au rassemblement des fidèles, à l’accueil des pénitents et au baptême des catéchumènes. C’est cet usage liturgique qui donnera au narthex toute sa charge symbolique : passer des ténèbres à la lumière.
Autour du IXe siècle, à l’époque carolingienne, le baptême des enfants et la confession privée devenant la norme, les narthex n’ont plus vraiment d’utilité et sont transformés ou démolis à la faveur de constructions nouvelles. Néanmoins, le symbolisme d’un lieu à franchir, transitoire entre le profane et le sacré reste et évolue. Ainsi les façades occidentales des grandes églises romanes qui fleurissent à partir du Xe siècle ne sont presque jamais construites contre une falaise ou une autre construction : il y a toujours un espace libre, un parvis, par où passer avant d’entrer dans l’église. Pour signifier ce passage du terrestre au céleste, l’édifice est surélevé et parfois le parvis creusé afin de laisser quelques marches à monter. Les portes d’entrées s’enrichissent de décors sculptés toujours plus remarquables pour accentuer le symbole, glorifier Dieu et catéchiser les fidèles. Le parvis devient également le point de départ des grandes processions liturgiques où le peuple de Dieu marche vers la clarté de l’aurore.t
Très vite, en plus de sa fonction liturgique, le parvis devient un lieu culturel et économique important. Le parvis de Notre-Dame de Paris en est un bel exemple, ce dernier ne va pas rester longtemps sans occupation profane. De nombreux commerçants y déballent leurs échoppes sous le contrôle du chapitre cathédrale : fromagers, bouchers, boulangers, apothicaires, chirurgiens, menuisiers, et quelques libraires venant y vendre des images pieuses. De nombreuses foires se tiennent sur le parvis au cours de l’année, en particulier la foire au jambon durant la Semaine Sainte et la foire aux oignons pour la fête patronale.
Un grand lieu de passage et de rassemblement qui devient également un lieu de spectacle. Outre l’amende honorable qui y attire beaucoup de monde, de grands drames religieux appelés « Mystères » et mettant en scène la vie du Christ (en particulier la Passion) sont joués sur le parvis. Ces spectacles qui demandaient des mois de travail et duraient parfois plusieurs jours étaient si renommés que les propriétaires de maisons situées sur parvis se réservaient le droit de louer leurs fenêtres à ces occasions.
Et aujourd’hui alors ? Les parvis de nos églises font toujours partie de l’enceinte sacrée. Ils sont toujours un lieu de passage des ténèbres à la lumière. La procession des rameaux démarre souvent du parvis, on y allume le feu nouveau du cierge pascal. On y accueille l’enfant et sa famille pour un baptême, on y applaudit les mariés, on y retrouve ses amis après la messe… Mais si agréables et indispensables qu’elles soient, toutes ces activités sont-elles suffisantes pour témoigner de la lumière qui nous éclaire ? Ne devons-nous pas occuper les parvis de nos églises de manière plus profane pour attirer et rejoindre ceux qui ne connaissent pas le Christ ?
Parmi tant de choses, les paroisses pourraient organiser sur leur parvis de grands marchés de Noël et proposer aux badauds de rentrer dans l’église, visiter la crèche et se renseigner sur les activités culturelles, charitables et spirituelles. Pour les fêtes patronales les aumôneries pourraient organiser des concerts de musique sacrée et profane pour essayer d’attirer leurs semblables. La Conférence des Evêques de France pourrait créer un festival de théâtre avec des représentations estivales sur les parvis de toutes les cathédrales de France pour évoquer le contenu du récit sacré…
Beaucoup de choses sont possibles, c’est à nous de jouer, soyons-inventifs et proposons à nos pasteurs de créer des activités pour réinvestir les parvis de nos églises. Et si certains rechignent, qu’ils se souviennent qu’ « Un jour dans tes parvis en vaut plus que milles ailleurs. » Ps 83.
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