Si l’ « humanisme » est invoqué à tour de bras dans les médias, le sens qui est attribué à cette tradition intellectuelle est de plus en plus flou. Alors que des philosophies modernes comme le transhumanisme ou l’anti-specisme s’y opposent frontalement, ses défenseurs semblent souvent incapables de définir ce en quoi ils croient. Le dernier essai du philosophe Rémi Brague, Après l’Humanisme, l’image chrétienne de l’homme, dépasse de façon lumineuse cette délicate opposition.
Alors qu’il était censé être le compromis philosophique raisonnable sur lequel l’Occident pouvait se reconstruire tout en tenant Dieu à l’écart, l’Humanisme est aujourd’hui en crise. Comme le remarque Rémi Brague, le constater est devenu banal. Quoique la référence à « l’Humanisme » serve encore de credo dans nombre de discours politiques, son contenu semble être devenu impossible à définir. Pour le philosophe, il ne s’agit en réalité plus que d’un « humanitarisme » (ou « humanisme tari » remarque cet amateur impénitent de calembours), sorte de foi déplacée en l’homme, niant sa dimension tragique.
Hier revendiqué par tous – Sartre lui-même ne disait-il pas que l’existentialisme était un humanisme ? – la notion d’humanisme est désormais aussi souvent invoquée comme repoussoir : à l’unisson, les philosophies nouvelles, poststructuralisme, transhumanisme, antispecisme, lui font de vifs reproches et se prétendent des « anti-humanismes ». Mais pour Rémi Brague, humanisme et anti-humanisme sont les deux faces d’une même pièce, car le problème est mal posé.
La situation est ainsi paradoxale : alors que « le monde entier nous rebat les oreilles avec les droits de l’homme » devenus « les droits humains » par un glissement sémantique rendant la notion plus difficile encore à définir, il est plus que jamais dans l’incapacité de dire ce qu’est l’homme lui-même. Car, comme le rappelle Rémi Brague, l’échantillon parfait n’existe pas : reprenant une plaisanterie de Pierre Dac, le philosophe souligne que « le chaînon manquant entre le singe et l’homme… c’est nous ! » Dès lors, humanisme comme anti-humanisme sont une même impasse. Les deux discours reposent sur une tentative de cerner l’Homme pour s’évaluer par rapport à un modèle, tentative qui ne peut que nous décevoir. Car l’homme ne saurait être défini et toute anthropologie n’être autre chose que provisoire. Aussi, le christianisme, qui voit en l’homme un mystère, a peut-être une clé pour sortir de l’impasse. Et le philosophe de partir d’un exemple personnel : plus son mariage avance, plus son épouse (à laquelle le livre est dédié) est un mystère !
L’être de l’homme est en dehors de lui : une sagesse chrétienne
Fabrice Hadjaj, qui a signé l’avant propos de l’ouvrage, le résume ainsi : « la proposition de Rémi Brague est que l’humain toujours nous échappe, non comme un fluide que l’on pourrait couler dans le moule de tous nos caprices, mais comme un mystère qui nous est confié, et que nous devons entourer de nos sollicitudes ». Réhabiliter le mystère de l’homme, admettre qu’il ne peut se penser d’une façon auto-référente, est la proposition philosophique à partir de laquelle une anthropologie est possible pour Rémi Brague. Et ce postulat est un enthousiasmant programme pour les « humanistes » de tous poils : admettre que la grandeur de l’homme est en dehors de lui, qu’elle n’est pas liée à sa seule organisation politique et encore moins à sa capacité à s’augmenter par la technique, voilà qui donne à penser ! Qui donc a dit que l’homme était à l’image de Dieu ?
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